Il est des anniversaires, plus symboliques et plus décisifs que d’autres.
Ce lundi 30 novembre 2020, Philippe Reynaert fête ses 65 ans. Et ce qui ressemble à une année de plus à ajouter à la longue liste des années passionnantes qui l’ont précédée est surtout le signal que le quotidien de l’emblématique directeur de Wallimage va changer du tout au tout dans quelques heures.
Demain, c’est décidé, l’homme aux lunettes blanches s’éclipse pour profiter d’une retraite bien méritée. Une étape normale dans une vie professionnelle, un cap attendu par beaucoup. Mais dans ce cas, soyons honnêtes, l’onde de choc est impressionnante. Quand on a dirigé une entreprise comme Wallimage du jour 1 de sa création jusqu’à son 20e anniversaire, on a forcément marqué les esprits. Et pas que les esprits.
Rétrospectivement, on peut dire que lorsque le ministre Serge Kubla nomme Philippe Reynaert à la tête du tout premier fonds économique belge dédié au cinéma et, plus largement, au développement de l’audiovisuel régional, il a de l’audace et une intuition géniale. Au lieu d’un technocrate qui aurait mis plusieurs années à trouver ses marques en s’imprégnant des réalités d’un milieu très spécifique, il place pile-poil au bon endroit un cinéphile pur et dur, très actif, féru de communication, entretenant déjà des contacts étroits avec la profession. En Belgique et à l’étranger. Un homme aussi à l’aise dans les médias que dans des colloques internationaux, mais qui ne sera jamais aussi heureux qu’une fois assis dans une salle de cinéma pour savourer la dernière création d’un de ses artistes favoris.
« Par ailleurs, le cinéma est aussi une industrie »
Au début des années 2000, les producteurs belges cherchent l’essentiel de leur financement à l’étranger et y délocalisent volontiers tournage et postproduction. Faisant sien le précepte énoncé par Malraux, Philippe Reynaert prend le pari de renverser le schéma : il veut persuader les producteurs étrangers de venir chercher de l’argent en Wallonie, s’engageant par là même à dépenser cette somme et une part substantielle du reste de leur financement chez nous. Une initiative d’autant plus hardie que l’industrie est ici encore presque inexistante.
Gangsters sera le premier long métrage français à décrocher un financement wallon. Mais c’est surtout le regretté Bernard Rapp, ravi de son expérience wallonne avec son film Pas si grave, qui aidera Philippe Reynaert à convaincre plus de producteurs français de délocaliser certaines activités en Wallonie.
En 2003, naît le Tax Shelter qui, par la grâce de nos institutions morcelées, se juxtapose de façon harmonieuse au fonds wallon. Du coup, le système des coproductions franco-belges prend rapidement une ampleur insoupçonnée. Le nombre de dossiers internationaux déposés au numéro 6 de la rue du 11 novembre explose et c’est toute l’industrie wallonne qui se développe tandis que les excellents techniciens régionaux trouvent enfin du travail près de chez eux, obtenant des salaires de plus en plus en phase avec le marché français.
L’histoire de Wallimage ne fait que commencer, mais le modèle est défini. Et il fonctionne. En 2004, Jean-Claude Marcourt prend les rênes de l’économie régionale. Pendant treize années très intenses, il consolide de manière régulière la force de frappe de Wallimage qui pendant son exercice voit se multiplier la création d’entreprises audiovisuelles performantes bientôt soutenues par une entité spécifique. Wallimage Entreprises, créée en 2008, est gérée par la jeune Virginie Nouvelle qui va soutenir et amplifier le travail de Wallimage (Coproductions).
Accompagné par un conseil d’administration vigilant, mais toujours enthousiaste, Philippe Reynaert a pu, au fil des années augmenter l’envergure du fonds wallo,. Pendant toutes ces années, Il a été notamment soutenu et encadré par quelques figures historiques comme Jean-Pierre Désiron, Alain Tabart ou Yves Vander Cruysen, qui a malheureusement été emporté cette semaine par la Covid, semant la tristesse au sein de l’équipe de Wallimage et particulièrement dans le cœur de Philippe qui a démarré l’aventure Wallimage à ses côtés. Avec eux, Philippe a notamment pu donner naissance à un fonds mixte baptisé Wallimage-Bruxellimage et ouvert Wallimage aux nouvelles technologies. Il a également encouragé les producteurs dans leurs démarches de diversifications vers les pays scandinaves, anglo-saxons, l’Allemagne ou l’Italie et installé la marque Wallimage à l’étranger dans des forums, rencontres ou associations internationales, donnant ainsi une visibilité inattendue à la Wallonie.
Pendant toutes ces années, des maisons de productions vont naître et se développer, des studios dédiés à la postproduction, à l’animation et aux effets spéciaux vont se créer. Certains vont disparaître, mais la plupart vont prospérer et s’imposer comme des références au niveau belge et international.
La théorie de l’évolution
La longévité de Philippe Reynaert à la tête d’un organisme comme Wallimage est exceptionnelle et spectaculaire. Elle repose essentiellement sur une vision initiale forte qui a sans cesse été peaufinée et amplifiée, déclenchant un succès qui ne s’est jamais démenti. Mais elle doit aussi beaucoup aux capacités étonnantes de communication et de conviction qui ont permis à Philippe Reynaert de travailler de manière constructive avec de très nombreux interlocuteurs parmi lesquels les deux ministres de tutelle de Wallimage qui se sont succédé depuis 2017. Pierre-Yves Jeholet et Willy Borsus ont tous les deux apporté leurs pierres à l’édifice solide qu’est aujourd’hui Wallimage permettant en outre d’assurer une transition exemplaire et transparente à la tête de l’entreprise dans un contexte sanitaire et donc économique compliqué.
Virginie Nouvelle, qui prend aujourd’hui les rênes de l’institution, mesure mieux que personne l’ampleur du défi qui l’attend, car c’est un héritage de vingt années intenses qu’elle va devoir faire fructifier au service de toute une région vouée à de plus en plus d’autonomie ; un héritage qu’elle a évidemment contribué à bâtir aux côtés de son mentor, ce qui est un atout non négligeable pour la santé économique du secteur audiovisuel wallon. Car si, par la force des choses, Wallimage ne sera plus jamais exactement la même, l’entreprise continuera à reposer sur la stratégie mise en place par Philippe Reynaert.
Son enthousiasme, son exceptionnelle capacité de travail, sa force de conviction, ses intuitions, son impact relationnel nous manqueront, mais tout le monde chez Wallimage est imprégné de sa vision et l’avenir du fonds est largement assuré par la gestion à la fois paisible, harmonieuse et constructive de sa succession.
Dans les prochains mois, Philippe Reynaert ne se reposera pas sur ses lauriers. Il ne s’effacera pas d’un coup du paysage médiatique. On est tous persuadés qu’il rebondira ici et là, de manière plus détachée, porté par son inaltérable passion pour le cinéma.
La vie ne s’arrête pas à 65 ans. Elle recommence sous d’autres auspices. Gageons qu’elle sera encore surprenante, riche et très longue pour cet homme d’exception dont nous sommes si fiers d’avoir croisé la route et partagé le chemin.
L’équipe de Wallimage