Chacune des sessions de financement organisée par Wallimage possède ses propres caractéristiques. C’est sans doute encore plus vrai depuis que le Covid est venu brouiller les pistes et redistribuer les cartes. Un des changements les plus marquants enregistrés récemment est l’attirance de producteurs autrefois cantonnés dans les tournages live pour les projets d’animation. Une bonne nouvelle, car ces films et séries alimentent ainsi les studios wallons qui se sont multipliés dans un paysage en recomposition continue : créations de sociétés, collaborations entre studios, disparitions ou réaffectations de structures, transferts d’artistes…
Conséquence prévisible : pour la première fois dans l’histoire de Wallimage, l’équipe d’analyse a reçu quatorze projets, exactement divisés en deux : sept projets d’animation, sept projets live. Il s’agit sans doute d’un équilibre passager mais l’événement mérite d’être souligné dans une région où l’animation n’existait plus il y a tout juste 20 ans.
Notre autre grande satisfaction est qu’à travers nos tableaux d’analyse de plus en plus sophistiqués et donc de plus en plus objectifs, les projets peuvent aujourd’hui se comparer de manière très égalitaire. Au final, le conseil décentralisé des coproductions a choisi cinq projets d’animation et cinq projets « live » pour un investissement global de 1 490 000 euros. Il est à signaler que les dossiers écartés l’ont été par manque de moyens (l’effet compétitif de nos sessions) et non parce qu’ils étaient très inférieurs aux lauréats.
De l’animation made in Belgium
Parmi les projets d’animation proposés à Wallimage, deux ont été initiés en Belgique. Cela aussi, c’est une grande première.
Ainsi, Agent Double nous a amené la série Mini Rangers, articulée en 52 épisodes de moins de deux minutes pour présenter, à chaque fois, un animal de nos contrées. La forme est pédagogique, rythmée et humoristique, pensée à la fois pour une production raisonnable à l’intérieur des murs de Genval-les-Dames par une équipe maison et pour séduire un large public : les enfants bien sûr, mais également leurs parents, car on en sort amusé et instruit. Pour l’instant destinés à YouTube, ces « fillers » malins et instructifs, écrits par Etienne Dontaine et Dimitri Ryelandt devraient convaincre les télévisions. Coup de cœur !
On reste au coeur de la ménagerie avec Hamster que nous a présenté 20 Pictures to Midnight, une société hennuyère qui travaille sur ce projet avec les Flamands d’Haptic. Adaptées des BD irrévérencieuses de Laura Janssens, ces 13 capsules de 5 minutes raviront les 15/35 dans un esprit acide et trash proche d’un South Park. Philippe (le hamster calme) et Giovanni (tendance hystérique) y observent le monde depuis leur cage. Mais que ces humains sont bizarres ! L’objectif est de constituer une équipe à Enghien (6 salariés et 3 indépendants) dans ce jeune studio wallon qui prendra en charge l’animation, la colorisation et le texturing, les VFX et l’épisode en VR de cette série. Le mixage sera réalisé chez Handle With Care à Onhaye. La plateforme flamande Streamz a déjà investi dans le projet qui devrait se retrouver sur d’autres supports de streaming.
Animation animalière également en coproduction
On reste dans le bestiaire animé avec la nouvelle série en coproduction que nous a soumise Belvision. Belfort et Lupin sont deux chiens… évoluant à Versailles dans la cour de Louis XIV. L’occasion, à travers les aventures de tous les animaux domestiques du lieu, de nous plonger dans un haut lieu de l’histoire. Chacun des 26 épisodes de 22 minutes destinés aux télévisions se termine d’ailleurs par une courte capsule documentaire. Le studio Dreamwall à Marcinelle sera en charge des décors de 17 des 26 épisodes, du layout 3D et de l’animation de 10 épisodes. Cette production occupera en Wallonie 23,7 équivalents temps plein dont 4 postes cadres pour un total de 5,220 jours/hommes sur une période de 16 mois débutant en mars 2023.
Proposé par la nouvelle société de production NextFrames Media à destination de son studio (NextFrames, établi à La Hulpe), Rufus est un long métrage d’animation 3D initié en Norvège mais essentiellement financé chez nous. Rufus vit sur une île secrète, quelque part au milieu de l’océan, entouré de ses congénères, des gigantesques serpents des mers. Mais il reste plutôt discret, pour masquer sa différence : il ne sait pas nager. Plus de deux millions d’euros seront investis à La Hulpe pour une équipe de 26 personnes qui travaillera sur le storyboard, la modélisation, le rigging, le lay out, l’animation, le rendering et le compositing. Cerise sur le gâteau, le travail du son s’effectuera chez Genval-les-Dames.
L’union sacrée entre Umedia et le studio Waooh ! soutenue par Wallimage est d’une redoutable efficacité. En 3 ans, au fil des projets, le personnel employé à Liège a quintuplé. L’enjeu est à présent de conserver ces talents (en fabrication et aussi, de plus en plus, en encadrement et en supervision). À cette fin, il faut assurer l’alimentation de l’équipe en projets de qualité. Après Planètes, Comment Ratatiner constitue donc une nouvelle aventure assez exaltante puisque le studio liégeois qui s’étend de salle en salle au troisième étage du Pôle Image de Liège s’occupera de l’animation de 39 épisodes (la part la plus importante) mobilisant 15 animateurs/trices. Les travaux s’étendront sur 11 mois à partir de juin 2023. Soit 3.930 jours/H-F estimés pour plus de 17 ETP (équivalent temps plein). Dans cette optique, Waooh ! a obtenu l’accord de Technofutur pour mettre en place une formation qui portera sur l’animation dans Toon Boom Harmony et durera 7 semaines.
Trois coproductions françaises et deux espagnoles
Face à ces cinq projets d’animation assez différents les uns des autres, mais tous excitants en termes d’industrialisation de la Région wallonne, le Conseil décentralisé des Coproductions de Wallimage a retenu cinq projets de longs métrages live destinés au cinéma.
A 8 ans, Marc assiste impuissant à la mort de son meilleur ami et au geste insensé de son père qui se débarrasse du corps pour éviter les poursuites. Vingt ans plus tard, à la mort de ses parents, le jeune homme revient dans la région. Il va retrouver le père de son ami, handicapé par un accident de schlitte. Outre le fait qu’il nous ait appris un nouveau mot de vocabulaire (la schlitte est une grosse luge généralement en bois destinée à tracter des troncs sur des surfaces escarpées), Schlitter va venir enrichir notre catalogue de films de genre qui, de l’avis général, est le plus luxuriant de tous les fonds économiques européens. Classique, mais bien écrit et dosé, il sera réalisé par Pierre Mouchet qui signe ici son premier long après Pleine Campagne, un court d’une efficacité remarquable. Miracle du cinéma : le film se déroulant dans les Vosges sera intégralement tourné en Wallonie pendant 30 jours. 34 techniciens wallons seront présents sur le tournage sous la houlette de Nicolas George et généreront d’importantes dépenses en location de matériels et de décors ou de catering. L’intégralité des VFX sera wallonne. Fontana, qui nous présente le projet, a par ailleurs dépensé quelques millions d’euros fin 2022 en Wallonie sur un projet pour lequel il a sollicité Wallimage Tournages, mais aucun financement. Les impacts économiques favorables sur la Wallonie dus à Wallimage peuvent donc aussi être indirects. Et spectaculaires.
On reste dans le « genre », oscillant entre SF et surréalisme pour Daniela Forever présenté par Wrong Men North. Le réalisateur espagnol Nacho Vigalondo perpétue ici sa veine très personnelle qui nous a valu en 2017, le très étrange Colossal avec Anne Hataway. Nicolas (Henri Golding) qui vient de perdre sa bien-aimée participe à un traitement expérimental pour combattre la dépression. Une pilule quotidienne lui permettra de prendre le contrôle de ses rêves pour revivre les bons moments de sa vie selon un protocole strict. Mais Nicolas s’en fiche : tout ce qu’il veut c’est replonger à sa guise dans la folle idylle brisée par la mort de sa bien-aimée. Quel qu’en soit le prix. Dans la lignée d’un Eternal sunshine of the spotless mind, Daniela perdra le spectateur dans un labyrinthe onirique étourdissant. Toutes les dépenses de ce dossier sont concentrées sur la postproduction avec des VFX chez MPC Liège pour près d’un demi-million d’euros, le travail du son chez Bardaf (David Vranken au montage et Mathieu Cox au mix). La supervision est conduite par TCPC (Thomas Meys) qui a incontestablement le vent en poupe.
Le cinéma raffole des films sur le cinéma. Maria de Jessica Pallud devrait donc attirer l’attention des cinéphiles puisqu’il feuillette la carrière de Maria Schneider, connue pour le monde entier pour être la jeune française tombant sous la coupe de Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris. Ce drame iconique restera jusqu’au bout un traumatisme pour Maria, trahie par la star américaine et le metteur en scène Bernardo Bertolucci pour une violente scène de sodomie improvisée qu’ils voulaient surprenante… même pour elle. C’est la formidable Anamaria Vartolomei (L’événement) qui incarnera Maria Schneider de son adolescence jusqu’à sa chute tandis que Tarantula qui coproduit le film en Belgique a pu nous confirmer que Matt Dillon sera Brando. Sept jours de tournage sont localisés en Belgique (dont 6 en Wallonie) et mobiliseront décorateurs et régisseurs régionaux. L’équipe son, la location et la cantine seront également wallonnes tandis que la postproduction sera 100 % liégeoise avec le montage, le mix et le mastering chez Bardaf, le bruitage chez Cob et l’étalonnage chez Sondr.
L’avant-dernier dossier retenu nous a été amené par La Compagnie Cinématographique. Ce film politique nous emmène en 2012 dans les coulisses de la commission européenne secouée par le licenciement sans préavis du commissaire à la santé portant un projet de loi qui devra rendre « neutres » tous les paquets de cigarettes. Choqués par ce limogeage, le Français José Bové et ses assistants parlementaires vont enquêter et révéler un complot ourdi par le lobby du tabac. Retraçant par le détail une histoire vraie, Une affaire de principe nous vaudra le plaisir de découvrir un José Bové truculent sous les traits de… Bouli Lanners. Seize techniciens wallons sur le tournage, la filière son en postproduction et un peu de location complète ce dossier qui a aussi émergé de haute lutte dans un contexte très compétitif grâce à une proposition de remontées de recettes volontariste.
Le dernier projet retenu est une série que nous a présenté Umedia. Les deux premières saisons des Invisibles ont été de gros succès d’audience sur France 2 avec en moyenne 4 millions de téléspectateurs en plein mondial qatari. La série s’est même payé le luxe de dominer Titanic diffusé sur TF1 le 7 décembre. Un succès mérité, car la série offre une combinaison idéale entre un rythme dynamique destiné à rassembler un large public et des scénarios malins, doublés d’une dimension sociétale, qui sortent des sentiers battus. Sur le modèle des Rivières Pourpres que nous soutenons depuis quelques années, la troisième saison des Invisibles sera pour l’essentiel filmée en Belgique avec les décors de forêts et de campagnes localisés en Wallonie. 18 techniciens accompagneront le tournage qui générera pas mal de locations et du catering. Hors le montage images, toute la postproduction sera wallonne et les VFX seront fabriqués chez UFX Wallonie.
La prochaine session de financement débutera le 23 mars tandis que le premier deadline 2023 de Wallimpact a été fixé au jeudi 6 avril. Juste le temps pour les producteurs intéressés de préparer des dossiers solides et attrayants.